mardi, février 06, 2007
Tribune Les Echos : Ascension des femmes en Chine
La Chine et la France possèdent de nombreux traits en commun : une histoire millénaire, une civilisation éblouissante, un art de vivre d'un raffinement extrême, qui les placent légitimement au premier rang du concert des nations. Mais les deux pays partagent également une caractéristique un peu moins connue du grand public : leur citoyen le plus riche est une citoyenne ! En effet, si l'on sait depuis longtemps que la première fortune de France appartient à Liliane Bettencourt, principale actionnaire de L'Oréal, on ignore généralement que, depuis quelques mois, l'homme le plus riche de Chine est... une femme : le rapport Hurun, qui publie depuis 1999 la liste des Chinois les plus riches, vient de consacrer Zhang Ying à la première place de son classement, avec une fortune personnelle estimée à 2,7 milliards d'euros.
Bien entendu, ces classements, dont les Chinois sont friands (ils ne sont pas les seuls), ont une valeur toute relative, surtout en Asie : ils ne donnent qu'un cliché provisoire, un instantané éphémère d'une situation économique en mutation accélérée. Il suffit de se rappeler le triste sort d'un de ces milliardaires rouges, classé 16e dans cette même liste Hurun au début de l'année, qui se retrouve aujourd'hui dépouillé de tout et incarcéré suite aux enquêtes sur les détournements des fonds de retraite de la municipalité de Shanghai.
Deux femmes occupent donc la première place dans leur pays. Mais le mode d'acquisition de leur fortune est évidemment très différent, et cela me paraît emblématique du fossé qui existe entre deux mondes, l'ancien et le nouveau. Madame Bettencourt est une héritière pur sucre, qui a tout hérité de son père. Madame Zhang, pour sa part, est une véritable « self-made-woman », qui a bâti un empire à partir de pratiquement rien. En vingt ans, elle a fait de sa société, Nine Dragons Paper Holdings, le premier groupe de recyclage de papier et premier producteur d'emballage de Chine.
L'histoire de Mme Zhang m'inspire trois réflexions, que je livre ici aux lecteurs en espérant qu'elles contribueront à encourager les jeunes et moins jeunes dans leur désir et leur volonté d'entreprendre.
La première réflexion est liée à la notion de « liberté ». En effet, pour exister pleinement, l'entrepreneur du troisième millénaire doit être libre dans sa tête : il doit se libérer du poids du passé, de l'étroitesse d'esprit des préjugés. Il doit se libérer du carcan des catégories toutes faites pour comprendre que le monde entier constitue son champ d'action et que tout l'éventail des activités humaines est ouvert devant lui. Ainsi, le vieil adage « Il n'y a pas de sot métier » paraît plus vrai que jamais : pourquoi serait-on obligé d'aller vers des métiers traditionnellement auréolés de prestige social plutôt que d'innover ? La vraie réussite ne réside pas dans l'image que l'on donne. Quoi de moins glamour, par exemple, que la récupération de vieux papiers ? L'exemple de Mme Zhang montre qu'il faut être imaginatif, le métier importe peu, le succès sera au rendez-vous pourvu que l'on s'y investisse corps et âme.
La seconde réflexion est liée à la notion de « fraternité », car on ne réussit jamais tout seul : contrairement à beaucoup de chefs d'entreprises de Chine continentale, Mme Zhang n'a pas bénéficié d'appuis du Parti ou du gouvernement, mais elle a été soutenue par sa famille, par son réseau amical. C'est la solidarité familiale, de proximité, qui lui a permis de surmonter les épreuves et les moments difficiles.
La troisième réflexion, enfin, est liée à la notion d'« égalité », car nous devons prendre conscience que nous sommes tous égaux : en tant qu'humains, nous sommes tous mortels et nous vivons sur une même planète aux ressources limitées. Nous partageons donc un même destin, qui exclut individualisme exacerbé et indifférence égoïste à l'égard de notre prochain. Si le développement durable est devenu un thème mobilisateur, c'est que nous nous sentons de plus en plus responsables de l'état du monde devant les générations futures. Or, Mme Zhang a eu l'intelligence de choisir une activité qui contribue au développement durable : recycler les déchets et les vieux papiers préserve évidemment l'environnement et les ressources naturelles. Sur le site de la société Nine Dragons figure d'ailleurs une phrase qui me plaît beaucoup : « Nous chérissons la plus petite parcelle de la nature. » Ce souci du durable me paraît essentiel, car il prouve que l'éthique (c'est-à-dire le sens de la responsabilité) ne saurait être absente des fondements de toute entreprise citoyenne.
Liberté, fraternité, égalité, voilà des valeurs qui nous sont, à nous enfants de la République, familières et chères. Elles nous permettent d'envisager l'avenir avec optimisme et d'espérer un développement harmonieux de la société post-industrielle. Il est certainement prématuré de penser que, dans la société chinoise, les femmes ont réellement conquis une place égale à celle des hommes. Mais la réussite de Mme Zhang démontre que, dans un monde en crise, il est possible de saisir toutes les opportunités pour tirer la mondialisation vers le haut.
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