lundi, décembre 03, 2007

Quand la télévision découvre le péril jaune !


En revenant de son voyage auprès des Chinois de Chine, le président Sarkozy, s’il s’est un instant posté devant sa télévision la semaine dernière sur une chaîne commerciale, a pu découvrir les tribulations des Chinois de France.Inquiétante peuplade : ils ont des lunettes noires, de grosses bagues en or, des montres incrustées de diamants, et toute une collection de revolvers ; ils roulent dans de puissantes voitures allemandes. Ils préfèrent les règlements en liquide, et se promènent avec des mallettes remplies de billets de banque. Ils sont entourés de sbires qui récoltent la dîme mafieuse auprès des restaurateurs.
Le « Droit de savoir », sur TF1, a entrepris d’infiltrer le milieu chinois. Il a surtout rencontré un voyou qui s’est prêté volontiers à ce reportage, où il est manifestement ravi d’être présenté comme un parrain d’envergure. Le journaliste précise bien qu’il n’est pas dupe de ce jeu. Mais appelle-t-on cela une enquête ? Apparemment, la complaisance était des deux côtés.
La France avait, hélas, déjà pris l’habitude de se méfier de ses citoyens à la peau sombre. Voici maintenant qu’on lui apprend l’existence d’une nouvelle minorité dangereuse ! Soyez sur vos gardes : derrière chaque Chinois que l’on rencontre, se cache peut-être un agent des terribles « triades ».
Qu’il existe, dans la communauté chinoise comme ailleurs, des réseaux qui opèrent dans l’illégalité, je ne veux pas du tout le nier. Ce qui me choque, c’est la manière dont les Chinois – et les Asiatiques en général – apparaissent soudain à la télévision. Je me disais, en voyant cela, que la République semble avoir décidément un problème avec ses images.
Les Français d’origine africaine et nord-africaine luttent depuis longtemps pour obtenir une visibilité digne, pour se défaire du visage de délinquance qui a trop souvent été leur seule forme de représentation télévisuelle. Même si beaucoup reste à faire, réjouissons-nous que, désormais, le consensus soit de trouver légitimes et nécessaires toutes les actions qui peuvent réparer cette injustice.
Les Français d’origine asiatique ont été moins en pointe dans la revendication de visibilité. Il n’est pas évident, aujourd’hui, de citer le nom de l’une ou de l’un d’entre eux qui soit une personnalité connue du monde du sport, du spectacle, de la télévision, de la politique, ou de l’entreprise. C’est une minorité encore largement invisible !
Elle a tracé sa voie dans ce silence. Au fond, c’était aussi sa chance. Peu médiatisée, elle souffrait peu de stigmatisation publique. Rien n’était facile pour autant. Le racisme existait aussi à son égard. Mais au moins, quand on arrivait à un entretien d’embauche, l’image télévisuelle du brûleur de voiture ou du voleur de mobylettes ne se superposait pas à notre visage dans l’inconscient de l’interlocuteur.
Lundi 26 novembre sur TF1, j’ai compris tout ce qu’avaient pu endurer les autres minorités. Quand la caméra de télévision se braque sur l’altérité, quelle qu’elle soit, on dirait qu’elle ne peut s’empêcher de la montrer sous un jour marginal, peu recommandable. Qu’il faut à tout prix que l’altérité soit vraiment autre, jusque dans les mauvais sens du terme ! Si c’est cela, être une minorité visible, rendez-moi la discrétion ! Beaucoup de Français d’origine chinoise m’ont dit être affligés de l’image d’eux-mêmes qui vient ainsi au jour, et qui risque de faire son chemin dans l’inconscient collectif.
Des Noirs, des Arabes, des Chinois qui vivent normalement, qui réussissent même un peu, il en existe. Mais les voir à la télévision ? Quel intérêt, demandera le directeur des programmes ?
Le petit écran a certes besoin de bruit et de spectacle. Platon dirait que l’on y projette des ombres pour jouer à se faire peur, plutôt que des images austères de la réalité. Nécessité commerciale, dira-t-on. Bien sûr. Et si l’on se lassait des fantasmes ? Pourquoi les gens ordinaires ne seraient-ils pas intéressants, même et surtout quand ils sont légèrement « autres » ?
C’est aussi une question de responsabilité. Il est regrettable que la visibilité de toute une communauté soit confisquée par quelques individus douteux. Le problème est que l’on n’a que cette image ; car alors elle colle à tous. Et quelle énergie ne faudra-t-il pas pour s’en libérer, quand on connaît la force des représentations issues de la télévision !
Une des conditions du « vivre-ensemble », c’est, à mon sens, que nul ne soit contraint de subir une représentation de soi qui n’a rien à voir avec son existence réelle. C’est pour cela que montrer la diversité est essentielle. Et j’ajouterai même que montrer tout court ne suffit pas, qu’il faut montrer diversement la diversité, ou montrer la diversité dans sa diversité ; je veux dire par là, montrer que les Français issus des minorités vivent ou peuvent vivre des vies extrêmement différentes, que les Noirs ne sont pas seulement footballeurs, et les Chinois pas seulement restaurateurs. C’est ainsi que l’on réduira les risques de communautarisme, qui au contraire perdurent et même se renforcent, si on laisse se développer de telles « cases » dans la visibilité. Et je serai, honnêtement, bien moins choqué que l’on nous présente de pseudo-mafieux chinois en deuxième partie de soirée, lorsque l’on aura vu mille fois à la télévision des Asiatiques engagés dans tous les secteurs de l’existence.
A présent, nous sommes embarqués. On a sorti les Chinois de leur silence et de leur invisibilité. A l’approche des Jeux de Pékin, et dans le climat d’inquiétude que suscite la puissance de la Chine, on pouvait s’y attendre. On ne reviendra plus en arrière. Et puisque l’on est condamné à avoir une image, autant œuvrer pour qu’elle soit bien meilleure.
La télévision stigmatise et victimise à la fois. Une communauté pâtit d’une image aussi fantasmatique. La ruse de l’histoire, c’est que, à sa manière, un tel reportage fera peut-être beaucoup pour la représentation des Chinois et des Asiatiques en France, s’il fait apparaître à quel point il est regrettable que l’on ne montre d’eux que cela.

mardi, février 06, 2007

Tribune Les Echos : Ascension des femmes en Chine


La Chine et la France possèdent de nombreux traits en commun : une histoire millénaire, une civilisation éblouissante, un art de vivre d'un raffinement extrême, qui les placent légitimement au premier rang du concert des nations. Mais les deux pays partagent également une caractéristique un peu moins connue du grand public : leur citoyen le plus riche est une citoyenne ! En effet, si l'on sait depuis longtemps que la première fortune de France appartient à Liliane Bettencourt, principale actionnaire de L'Oréal, on ignore généralement que, depuis quelques mois, l'homme le plus riche de Chine est... une femme : le rapport Hurun, qui publie depuis 1999 la liste des Chinois les plus riches, vient de consacrer Zhang Ying à la première place de son classement, avec une fortune personnelle estimée à 2,7 milliards d'euros.

Bien entendu, ces classements, dont les Chinois sont friands (ils ne sont pas les seuls), ont une valeur toute relative, surtout en Asie : ils ne donnent qu'un cliché provisoire, un instantané éphémère d'une situation économique en mutation accélérée. Il suffit de se rappeler le triste sort d'un de ces milliardaires rouges, classé 16e dans cette même liste Hurun au début de l'année, qui se retrouve aujourd'hui dépouillé de tout et incarcéré suite aux enquêtes sur les détournements des fonds de retraite de la municipalité de Shanghai.

Deux femmes occupent donc la première place dans leur pays. Mais le mode d'acquisition de leur fortune est évidemment très différent, et cela me paraît emblématique du fossé qui existe entre deux mondes, l'ancien et le nouveau. Madame Bettencourt est une héritière pur sucre, qui a tout hérité de son père. Madame Zhang, pour sa part, est une véritable « self-made-woman », qui a bâti un empire à partir de pratiquement rien. En vingt ans, elle a fait de sa société, Nine Dragons Paper Holdings, le premier groupe de recyclage de papier et premier producteur d'emballage de Chine.

L'histoire de Mme Zhang m'inspire trois réflexions, que je livre ici aux lecteurs en espérant qu'elles contribueront à encourager les jeunes et moins jeunes dans leur désir et leur volonté d'entreprendre.

La première réflexion est liée à la notion de « liberté ». En effet, pour exister pleinement, l'entrepreneur du troisième millénaire doit être libre dans sa tête : il doit se libérer du poids du passé, de l'étroitesse d'esprit des préjugés. Il doit se libérer du carcan des catégories toutes faites pour comprendre que le monde entier constitue son champ d'action et que tout l'éventail des activités humaines est ouvert devant lui. Ainsi, le vieil adage « Il n'y a pas de sot métier » paraît plus vrai que jamais : pourquoi serait-on obligé d'aller vers des métiers traditionnellement auréolés de prestige social plutôt que d'innover ? La vraie réussite ne réside pas dans l'image que l'on donne. Quoi de moins glamour, par exemple, que la récupération de vieux papiers ? L'exemple de Mme Zhang montre qu'il faut être imaginatif, le métier importe peu, le succès sera au rendez-vous pourvu que l'on s'y investisse corps et âme.

La seconde réflexion est liée à la notion de « fraternité », car on ne réussit jamais tout seul : contrairement à beaucoup de chefs d'entreprises de Chine continentale, Mme Zhang n'a pas bénéficié d'appuis du Parti ou du gouvernement, mais elle a été soutenue par sa famille, par son réseau amical. C'est la solidarité familiale, de proximité, qui lui a permis de surmonter les épreuves et les moments difficiles.

La troisième réflexion, enfin, est liée à la notion d'« égalité », car nous devons prendre conscience que nous sommes tous égaux : en tant qu'humains, nous sommes tous mortels et nous vivons sur une même planète aux ressources limitées. Nous partageons donc un même destin, qui exclut individualisme exacerbé et indifférence égoïste à l'égard de notre prochain. Si le développement durable est devenu un thème mobilisateur, c'est que nous nous sentons de plus en plus responsables de l'état du monde devant les générations futures. Or, Mme Zhang a eu l'intelligence de choisir une activité qui contribue au développement durable : recycler les déchets et les vieux papiers préserve évidemment l'environnement et les ressources naturelles. Sur le site de la société Nine Dragons figure d'ailleurs une phrase qui me plaît beaucoup : « Nous chérissons la plus petite parcelle de la nature. » Ce souci du durable me paraît essentiel, car il prouve que l'éthique (c'est-à-dire le sens de la responsabilité) ne saurait être absente des fondements de toute entreprise citoyenne.

Liberté, fraternité, égalité, voilà des valeurs qui nous sont, à nous enfants de la République, familières et chères. Elles nous permettent d'envisager l'avenir avec optimisme et d'espérer un développement harmonieux de la société post-industrielle. Il est certainement prématuré de penser que, dans la société chinoise, les femmes ont réellement conquis une place égale à celle des hommes. Mais la réussite de Mme Zhang démontre que, dans un monde en crise, il est possible de saisir toutes les opportunités pour tirer la mondialisation vers le haut.