dimanche, décembre 04, 2005

150.000 chinois dans la Grande Guerre

L’écrivain Victor Segalen, auteur de Stèles, s’était rendu en Chine en 1917, dans ce qui devait être son dernier voyage, en tant que médecin chargé de superviser le recrutement des travailleurs. En mars 1917, il écrit de Nankin à son ami Jean Fernet : « J’appartiens donc à cette mission militaire de recrutement des travailleurs chinois. Les choses vont bien, et on lève à raison de 200 par jour… Ce sont des gens du Chantong et du Ngan-houei, infiniment plus sages et robustes que ces exportés dockers de Canton ou du Fou-kien».
Et, dans une lettre à sa femme Yvonne : « On a, de 6 heures du matin à 3 heures de l’après-midi, réexaminé et embarqué à bord de l’Empire, 1.800 coolies du Chantong et du nord du Kiangsou. De bons types de laboureurs bons garçons et pouvant faire de bonne besogne. Ils sont vêtus de neuf, lavés, trillés déjà. Je n’ai jamais vu foule chinoise si appétissante. Ils doivent compléter les 7 à 8.000 que l’on a déjà reçus en France. »
Originaires des provinces du Nord, ces hommes jeunes, pourvus d’un contrat de cinq ans, devaient travailler dans l’industrie et l’agriculture. Ils furent en fait affectés à toutes sortes de tâches : construction de dépôts de munitions et de lignes de chemins de fer, réfection des routes, nettoyage des champs de bataille, chargement et déchargement des navires dans les villes portuaires, manutention dans les manufactures d’armes et de munition, dans les constructions mécaniques et navales, etc. 95.000 furent mis à la disposition de l’armée britannique (au sein des fameux « Chinese Labour Corps »), dont le commandement se trouvait à Abbeville, les autres travaillèrent pour l’armée française dans le nord de la France. Certains auraient même pris part à la campagne de Picardie, en 1918.
Les chiffres ne sont pas très fiables mais on estime généralement qu’à la fin de la guerre, près de 20.000 ont trouvé la mort en France, entre 120.000 et 125.000 sont rentrés au pays, mais un nombre non négligeable d’entre eux, de 3.000 à 6.000, sont restés ici. Ils constituent donc la base de la première immigration chinoise d’importance en France.
Ces faits sont peu connus, même si plusieurs associations chinoises ont souvent cherché à attirer l’attention sur eux avec des cérémonies commémoratives officielles au cimetière de Nolette, à Noyelles-sur-Mer, près d’Abbeville, le plus important des 37 cimetières chinois de France.
Dans le XIIIème arrondissement, un monument à la mémoire de ces travailleurs a été inauguré en 1998, place Baudricourt. Les Français d’origine chinoise sont très attachés à cette mémoire, élément fondateur de leur identité, et ils manifestent de plus en plus leur désir de voir reconnue cette affirmation identitaire.

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